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16 juillet 2012 1 16 /07 /juillet /2012 14:07

Les banques font encore parler d’elles ! Vous direz que ce n’est pas neuf : cela dure depuis 2008 avec des hauts et des bas. Mais, comme dans les vieux films sur la guerre froide, on a atteint ici le « fail safe point », le point limite au-delà duquel il n’est plus possible de faire marche arrière.

 

Depuis le début de cette année 2012, les spécialistes encore honnêtes des finances (mais oui, cela existe !) ont averti que le LIBOR allait déclencher un cataclysme sans précédent. Ainsi, le banquier belgo-new-yorkais Georges Ugeux commentait le 28 mars sur son blog (http://finance.blog.lemonde.fr/2012/03/28/la-fraude-du-libor-ou-la-perversion-des-marches-monetaires/) : « Comme dans le cas de notations frauduleuses des obligations représentatives des crédits subprime, certains traders avaient obtenu accès au système où les dirigeants de banques entraient leurs taux de référence et pouvaient les manipuler.

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Georges Ugeux : excellent analyste des finances mondiales

Il y a une certaine hypocrisie dans la manière dont les banques (qui ont toutes fait savoir qu’elles coopèreraient avec les autorités) tentent de faire peser le poids d’une fraude systémique aux seuls traders. Une fraude d’une telle ampleur implique non seulement la connaissance, mais l’approbation des hauts dirigeants des institutions concernées. » Rien que ça !

Le LIBOR ? De quoi s’agit-il ? LIBOR est l'acronyme de London Interbank Offered Rate, en clair, le taux d’intérêt fixé pour les prêts interbancaires. La fraude porterait sur la manipulation de ce LIBOR par plusieurs banques internationales dans le but de camoufler leurs difficultés de financement lors de la crise financière. Il y a seize banques qui sont concernées dont : la Bank of America, Barclays, Citibank, Crédit Suisse, Deutsche Bank, HSBC, JP Morgan, Royal Bank of Scotland, UBS... L'enjeu est colossal. Le marché interbancaire est un des plus grands marchés monétaires au monde. Il est estimé à 90.000 milliards de dollars !

On ne parlerait du LIBOR qu’entre spécialistes de la finance si celui-ci reflétait la réalité économique. Cette fraude, à la limite, ne concernerait que les banques, l’affaire resterait confidentielle : on règlerait ses comptes entre « amis » sans faire de vagues à l’extérieur. Ugeux ajoute : « Le rôle du LIBOR a cependant largement dépassé le cadre des banques : après tout si les banques trichent entre elles, je ne suis pas convaincu que cela surprendrait, moins encore attristerait le grand public.

Depuis des décennies les crédits bases sur les taux à court terme ont pris ce taux pour référence : la plupart des grands crédits syndiques ont en effet un taux d’intérêt fluctuant, basé sur le LIBOR à trois ou six mois. La masse d’instruments dont les taux sont liés au LIBOR est estimée par le Financial Times à 350.000 milliards de dollars. Ainsi, si France Telecom a emprunté sur cette base, le jour de l’échéance de renouvellement du taux pour une nouvelle période de trois mois pourrait être le LIBOR + 50 points de base, soit, en ce moment 0,5% (LIBOR) + 0,5% (la marge de credit), soit 1%. Cela vaut aussi pour les crédits hypothécaires et autres financements en dollars. »

La City, une zone de non-droit

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La City de Londres : une zone de non droit au sein d'un Etat de droit...

Mais, ici, c’est bien plus sérieux. Comme l’écrit le conseiller financier belge Sébastien Buron : « Il faut dire aussi que l'influence du money market de Londres dépasse largement la sphère des grandes banques internationales. Le Libor n'est pas seulement un indicateur de l'offre et de la demande de fonds à court terme. Il sert aussi de base de calcul à une quantité incroyable de produits financiers dérivés comme les swaps. On le retrouve aussi derrière les cartes de crédit ou les prêts hypothécaires à taux variables. Il sert enfin d'étalon pour les grands crédits internationaux comme celui négocié par InBev auprès d'un consortium de 10 banques pour financer le rachat de l'américain Anheuser-Busch : une quarantaine de milliards de dollars assortis d'un taux flottant (Libor + x %), comprenant une marge allant généralement d'un demi pour cent à 5 % en fonction du risque-crédit. Au total, il y en aurait pour 350.000 milliards de dollars de produits financiers indexés sur le Libor à travers le monde ! »

L'arnaque la plus importante

 

Ce n’est rien moins que toute l’économie mondiale qui est touchée par cette fraude. C’est sans doute l’arnaque la plus importante de l’histoire du capitalisme ! Buron ajoute : « Dans ce contexte, «trafiquer» le niveau réel du Libor peut avoir des conséquences considérables sur les coûts de financement des entreprises et des particuliers. Crise ou pas, «la manœuvre est double, poursuit notre vieux briscard de la finance internationale. Il s'agit de tirer vers le bas les taux à court terme sur les dépôts tout en gonflant les taux à plus long terme pour les grands crédits syndiqués aux entreprises.» Sans oublier que tirer les taux à court terme vers le bas permet de se refinancer à bon compte tout en rassurant les marchés sur sa solidité financière. Intéressant quand on a de gros besoins de liquidités. »

Soit dit en passant : depuis plusieurs mois, on a dénoncé la pratique de la BCE qui prête aux banques à moins de 1 %, les mêmes banques fournissant des capitaux allant de taux d’intérêt négatifs ( !) à des taux à plus de deux chiffres, aux Etats selon leur cotation par les agences de notation. Y aurait-il un lien avec la fraude « LIBOR » ? On verra.

Cette affaire montre que depuis des années, les autorités jettent de la poudre aux yeux. Elles ne cessent de parler de régulateur. L’affaire du LIBOR démontre qu’il n’existe pas de régulateur. Le scandale a été dénoncé par l’UBS (l’Union des Banques Suisses) qui traîne déjà pas mal de casseroles. Sans doute, a-t-elle cherché à se « couvrir » comme n’importe quel petit truand qui espère une remise de peine s’il dénonce ses complices ? Ugeux ajoute avec un brin de candeur : « La réponse naturelle est de confier à un régulateur, par exemple la Bank of England, un rôle de règlementation et de supervision. C’est plus facile dit que fait. Tout d’abord, dans cette fraude, la Bank of England n’a pas été un acteur passif et dans certains circonstances a directement interpellé les banques mais a-t-elle agi assez Promptement? Mais surtout, cette mécanique est incroyablement complexe. Comment s’assurer que le taux que chaque banque présente est effectivement le fruit de l’ensemble de sa situation et de sa volonté de prêter aux autres banques ?

La tache n’est pas aisée. Pourtant, sans une supervision efficace, les risques que courraient les préteurs et les emprunteurs à travers le monde sont gigantesques. Il faut rétablir la confiance à tout prix. Les sanctions, si brutales soient elles, seront-elles suffisantes ? L’avenir le dira : les banques réclament une supervision accrue qui leur redonne une intégrité. Mais pour les autorités, une supervision ne peut en aucun cas signifier qu’elles assument la véracité des taux. Comme le dit Marcus Agius([1]), la responsabilité est celle de la direction des banques. Il ne saurait être question de la transférer à des autorités de contrôle. »

 

 

Un système sans régulateur

 

 

Une première conclusion à tirer ici : le système est tel qu’il ne peut y avoir de régulateur. Le système financier est depuis longtemps basé sur un complexe réseau de zones de non-droit : les paradis fiscaux, la City londonienne et les grandes banques internationales où aucune autorité constituée nationale ou internationale, publique ou non, n’a une possibilité de contrôle ou de sanction. De plus, n’oublions pas que la classe politique anglaise, dans son ensemble, est décriée après le scandale des fraudes aux notes de frais de parlementaires des deux grands partis. Il lui serait dès lors difficile d’imposer un système de contrôle des banques après cela.

 

 

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QG de Barclays à la City : tout s'écroule !

 

 

La première banque visée par cette affaire, suite au « caftage » de l’UBS est la Barclays. Il s’agit d’une des cinq plus grandes banques du Royaume Uni. Elle fut fondée en 1896. Elle était un symbole du capitalisme traditionnel britannique. Elle pratiquait les métiers de banquiers, à savoir la gestion des dépôts et des crédits d’investissements tout en s’étant étendue dans l’ensemble du Commonwealth, aux Etats-Unis et en Europe. C’est en 2008 que Barclays bascule : En 2008, Barclays est devenu une banque d’investissements transatlantique géante en se saisissant des actifs de Lehman Brothers en faillite. Dès lors, la banque était entrée inexorablement et agressivement dans le monde du marché de la dette. C’est alors que la dérive a commencé. Barclays a connu des sérieuses difficultés. Pour échapper à un plan de sauvetage sous l’égide de l’état et à la nationalisation, Barclays a décidé de convaincre le Qatar et Abu Dhabi d’investir dans la banque. En même temps, elle baissait ses propres taux pour faire croire à sa solidité. Et puis, récemment, éclate le scandale LIBOR et c’est Barclays qui est prise la main dans le sac. Mais tout le monde sait qu’elle n’est pas la seule.

 

 

 

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Le Commissaire européen Michel Barnier n'est pas le "mou" qu'on croyait !

 

 

L’affaire est d’une telle ampleur que le Commissaire européen au marché intérieur, le Français Michel Barnier n’hésite pas à déclarer qu’il s’agit d’une « trahison aux conséquences potentiellement systémiques ». Cela signifie que le système bancaire porte désormais en lui ce mécanisme de fraude, ou encore : le système est basé sur la fraude, le système est la fraude ! On s’aperçoit que des millions d’emprunteurs ont payé des intérêts à un taux faussé entre 2005 et aujourd’hui. Alors, tout le reste déboule en cascade.

 

 

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Bob Daimond, le directeur général de Barclays est parti avec un peu moins de biscuits qu'il n'aurait voulu. Un "aléa moral" ?

 

 

Bob Diamond, le directeur général de Barclays, démissionne mardi 3 juillet sous la pression de la Banque d’Angleterre et du régulateur financier, non sans avoir emporté avec lui un pactole un peu moindre qu'il aurait souhaité. Il a reconnu du bout des lèvres que le LIBOR avait été fréquemment manipulé par la banque. Ce comportement a valu à Barclay des amendes de la part des régulateurs de deux côtés de l’Atlantique qui avoisinent les 441 millions de dollars. Truquer le taux était, semble-t-il, la devise de la banque.

 

 

Une cascade de démissions s’en est suivie : le président Marcus Agius, qui venait de la banque Lazard est parti le lundi 2, et le lendemain, le départ de Diamond a été accompagné de celui du directeur des opérations Jerry del Missier. Diamond, quant à lui, a tenté sans grand succès de convaincre le Comité du Trésor qu’il ne savait pas que le taux avait été truqué en octobre 2008.

 

 

 

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Paul Tucker, le sulfureux gouverneur de la Banque d'Angleterre

 

 

Il est apparu par après que Paul Tucker de la Banque d’Angleterre avait relevé que les taux de prêt aux autres banques étaient anormalement bas et qu’il en avait, semble-t-il, parlé à Diamond en octobre 2008. Tucker, l’adjoint du directeur général de la Banque, a expliqué que des "experts de Whitehall" trouvaient que le taux Libor de Barclay était tout simplement trop haut...

 

 

 

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Timothy Geithner, le Secrétaire d'Etat au Trésor de Barack Obama

 

 

Le 12 juillet, une nouvelle bombe éclate : le Washington Post révèle que le secrétaire d’Etat américain au Trésor, Timothy Geithner, avait alerté les autorités britanniques dès 2009 sur les risques de manipulation du LIBOR. Cependant, le Congrès américain ne l’entend pas de cette oreille : il a convoqué Timothy Geithner et Ben Bernanke le célèbre président de la Fed (la banque centrale américaine) pour leur demander ce qu’ils savaient exactement à cette époque. En effet, si Barclays a joué avec ses soumissions, combien d’autres institutions financières s’y sont également mises ?

 

 

Quelles peuvent être les conséquences ? Si le LIBOR est faussé, cela signifie que le bilan des banques, leurs comptes de résultats sont biaisés. Et cela dépasse la City, car le LIBOR porte sur dix devises différentes avec plusieurs régimes de taux. Il existe en effet 150 taux LIBOR ! De plus, on soupçonne que la fraude porterait sur l’EURIBOR qui est un taux similaire calculé pour la zone Euro sur la base d’un panel de 57 banques…

 

 

Le tsunami n’est qu’une légère tremblote à côté du cataclysme qui s’annonce !

 

L’aléa moral

 

 

Ce système bancaire fait fi de toutes les règles ; il est basé sur la tricherie organisée par les plus forts, qui s’épanouit dans des zones de non-droit comme la City et les paradis fiscaux. Il représente un danger majeur pour l’avenir de l’humanité. Cet accaparement des ressources entre quelques banques ne peut conduire qu’à des déséquilibres catastrophiques : guerres – il n’y a jamais eu autant de guerres depuis deux décennies –, famines, désertifications, catastrophes écologiques, déplacements de populations, destruction du tissu social. On dirait que quelques hommes guidés par une cupidité sans fin ont un sordide plaisir d'entraîner des milliards d’êtres humains à leur perte.

 

 

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Adam Smith l'inventeur du concept d'aléa moral

 

 

 

Ils justifient leur action par l’aléa moral (ou le « moral hazard » en anglais). C’est un concept peu connu qui date d’Adam Smith, le penseur du libéralisme du XVIIIe siècle. Sans utiliser cette expression d’aléa moral, il écrit :c'est « la maximisation de l’intérêt individuel sans prise en compte des conséquences défavorables de la décision sur l’utilité collective ». Autrement dit, il s’agit de permettre à l’individu de travailler pour ses intérêts au détriment éventuel de l’intérêt général. Au fur et à mesure que la pensée libérale a dominé dans les sociétés occidentales, ce concept s’est élargi. Ainsi, les assureurs parlent d’aléa moral lorsqu’un de leurs clients se sentant protégé par un contrat d’assurance agit avec moins de prudence, ou prend délibérément des risques qu’il ne prendrait pas s’il n’était pas couvert. On l’étend aux assurés sociaux – la culpabilisation des chômeurs, par exemple – et à tous ceux qui bénéficient peu ou prou d’une protection publique. Or, il y a une différence fondamentale entre un client imprudent et un chômeur : ce dernier est victime du risque, puisqu’il a perdu son emploi. Les indemnités qu’il perçoit reflètent les cotisations qu’il a versées. Elles ne constituent en rien un abus ou un « aléa moral ».

 

En ce qui concerne les banques, l’aléa moral porte d’abord sur le sauvetage de celles-ci par les Etats. Cela a mené à leur endettement au détriment de la collectivité qui doit subir des mesures d’austérité drastiques. L'Etat sert de bouée de sauvetage des banques en mutualisant leurs dettes.

 

Chacun sait que pour sortir de ce cercle vicieux, il faut séparer les activités bancaires vitales pour l’économie, à savoir les dépôts, les crédits et les investissements, des activités purement spéculatives. Une banque, comme n’importe quelle entreprise, doit pouvoir faire faillite sans que l’Etat doive intervenir et dépouiller ainsi la collectivité. On sait que les crédits accordés à l'économie ne représentent généralement moins d'un tiers du bilan des très grandes banques, les activités de marché représentant les deux tiers restants. Cette proportion est à peu près inversée pour les banques de taille moyenne et les activités de marché deviennent quasiment nulles pour la plupart des petites banques. Cependant, ces dernières sont absorbées par les grandes institutions financières. Le lien entre la situation d’aléa moral dans laquelle évoluent les banques, la distorsion de concurrence entre banques de différentes tailles qu’elle induit et l’orientation des activités bancaires ne fait que renforcer la position des spéculateurs. Là aussi, l’intérêt général exige que l’on réduise la taille des banques, comme cela a été proclamé à plusieurs reprises lors de la crise financière de 2008. Oublié depuis !

 

Certes, des efforts sont élaborés pour changer ce système, tels que la mise en place de la commission Barnier au niveau de l’Union européenne pour la réforme des banques. Mais, aboutira-t-il à un résultat ?

 

Une grande pétition est en cours pour apporter un vaste soutien citoyen international au Commissaire Barnier. C'est un moyen pour que les peuples se réveillent. Vous pouvez signer ici :

 

 

http://www.avaaz.org/fr/la_fin_de_limpunite_des_banquiers_fr/?brKVtab&v=15970

 

 

Ainsi, ce fameux aléa moral s’est étendu aux activités illicites des banques spéculatives, comme la manipulation du LIBOR. Et l’on en revient à cette situation aberrante où c’est l'aléa moral qui se substitue à l’éthique sociale. Ainsi, on en revient à la définition d’Adam Smith : « la maximisation de l’intérêt individuel sans prise en compte des conséquences défavorables de la décision sur l’utilité collective ».

 

 

En définitive, la société évolue vers un système où la loi du plus fort l’emporte. Et elle se justifie par ce fameux aléa moral qui n'est rien d'autre que la négation de toute morale.

 

 

Pierre Verhas


[1] Marcus Agius est le président de la Barclays Bank.

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commentaires

S
formidable article à faire connaître aux amis
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